Laocoonte
Laocoonte (ou Laocoon) est une statue de Fabio Viale exposée au Havre en 2021. Exposée dans le cadre d’Un été au Havre en 2021, elle s’inspire d’une célèbre statue de l’Antiquité gréco-romaine. Les tatouages ajoutés sur la statue renvoient à la culture japonaise et des gangs.
Photographie du Laocoonte, sculpture de Fabio Viale, 2021 :
Fabio Viale est un artiste italien né en 1975. Dès l’âge de 16 ans, il fréquente assidument l’Académie de Turin. Après avoir exposé en Russie et à New York, en 2014 il reçoit le Cairo Prize, la plus importante des récompenses pour l’art contemporain en Italie, pour une sculpture représentant un bateau à moteur de marbre doté d’un moteur, capable de naviguer. Plusieurs expositions en Europe (Moscou, Italie, Munich) et aux Etats-Unis (Sperone Westwater Gallery, New York, 2013). Le travail de Fabio Viale s’inspire de la sculpture antique mais ainsi des oeuvres de Michel-Ange.
Fabio Viale aime jouer sur les illusions et l’imitation de la matière dans la lignée des sculpteurs qui se sont essayés à transformer le marbre en corps vivants. L’artiste choisit de reproduire de célèbres sculptures de l’Antiquité puis de les tatouer grâce à un procédé chimique qui consiste à injecter de l’encre directement dans le marbre. La surface des statues semble alors piquée comme le serait la peau. Ces tatouages sont inspirés par ceux des criminels russes ou japonais, destinés à l’origine à effrayer. Fabio Viale propose une rencontre entre « l’art classique et l’expression moderne, entre le profane et le sacré, entre le marbre froid et les couleurs qui respirent la vie ».
Quelques oeuvres de Fabio Viale :
- « Cavour » (2010), palais du Quirinal (Rome, Italie) ;
- Ahgalla, un bateau en marbre capable de flotter et de transporter des personnes à l’aide d’un moteur hors-bord (2002) ;
- Dans l’exposition « Lucky Ehi » (à Milan), Fabio Viale propose une version de « La Pietà » de Michel-Ange, mais sans le Christ.
- A la villa maritime du Havre en 2021 : Venus / Skull / Torso / Souvenir David / Door Release, etc. Fabio Viale, Il vostro Sara’ il nostro, Villa Maritime, Le Havre, 2021
Fabio Viale, Torso, Villa Maritime, Le Havre, 2021
Laocoonte a été exposé dans les jardins de la Villa Maritime, sur la plage du Havre, à l’occasion d’un Eté au Havre 2021. Située face à la mer, la Villa Maritime a été construite en 1890 par l’architecte Henri Toutain pour Madame de Aldecoa. Elle mesure 1200 m² et compte deux grottes artificielles et un jardin d’hiver. Après sa rénovation, elle appartient aujourd’hui au Groupe Partouche. En 2010, la Villa Maritime a accueilli une exposition de la Biennal d’Art Contemporain.
Laocoonte est une oeuvre proposée à l’occasion d’ Un été au Havre, une exposition d’art contemporain ; elle a lieu chaque été dans la ville depuis 2017. Des oeuvres signées par des artistes de renommée internationale sont visibles dans l’espace public, gratuitement à tous les visiteurs. Un été au Havre attire chaque année des milliers de touristes et constitue un enjeu économique pour la ville normande ; l’exposition renforce la réputation du Havre, centre majeur de l’art contemporain.
Fabio Viale détourne une statue très célèbre de l’Antiquité, le Groupe de Laocoon : dans la mythologie grecque, Laocoon était un prêtre de Poséidon (ou d’Apollon) qui apparait dans les récits de la guerre de Troie. Un matin, les Troyens découvrent, sur la plage, un cheval en bois abandonné, ce qui est vu comme une offrande au dieu de la mer Poséidon pour garantir à la flotte grecque un bon retour. Les Troyens se divisent sur le sort du cheval : certains veulent le faire entrer dans la ville, en signe de victoire, d’autres préfèrent le brûler. Laocoon se méfie et avertit ses compatriotes : « Je crains les Grecs, même lorsqu’ils apportent des présents ». Il leur conseille de détruire le cheval en bois. Deux serpents débarquent alors que Laocoon sacrifie un bœuf à Poséidon. Ils attaquent ses deux fils et les démembrent, puis s’en prennent à Laocoon lui-même, qui tentait en vain de les arrêter. Les serpents se réfugient ensuite dans un temple d’Athéna. Les Troyens pensent alors que c’est la déesse qui se venge de l’outrage fait à une offrande qui lui est consacrée et, rassurés, font entrer le cheval dans leurs murs. L’histoire de Laocoon apparait dans l’Odyssée d’Homère et l’Énéide de Virgile.
Le Groupe de Laocoon est une sculpture antique retrouvée en 1506 à Rome. Acquise par le souverain pontife Jules II, la statue est alors exposée dans la cour du Belvédère, au Vatican, où le pape rassemble les pièces les plus prestigieuses de ses collections antiques. Par la suite, le groupe de Laocoon connaît une immense célébrité, étant donné le grand nombre de copies qu’elle suscite. De nombreux sculpteurs de la Renaissance ont relevé le défi de la reproduire.
La statue antique est en marbre et mesure 2,42 mètres de hauteur pour 1,60 mètre de largeur. Elle représente au centre Laocoon se tenant sur un autel, à sa gauche ses deux fils, attaqués par un serpent. Elle est aujourd’hui conservée dans les musées du Vatican.
Les experts en histoire des arts ne sont pas d’accord sur la datation du groupe de Laocoon : la plupart date la statue en marbre du Ier siècle alors que d’autres considèrent qu’il s’agit d’une copie en marbre d’un bronze hellénistique du IIe siècle av. J.-C. Mais l’oeuvre n’est citée par aucun auteur de l’Antiquité, ce qui rend sa datation difficile.
Le groupe de Laocoon est une sculpture hellénistique qui a pour caractéristiques :
- des effet de drapés et de transparence des vêtements ;
- la souplesse des attitudes ;
- l’expressivité des visages et des corps ;
- des thèmes dramatiques ;
- l’imitation de la nature et de l’Homme qui va jusqu’à l’illusion du mouvement réel : les statues hellénistiques représentent l’être humain dans tous ses détails pour se rapprocher au plus près du réel, en donnant vie à la statue.
Photographie du Groupe du Laocoon, statue antique découverte en 1506 et exposée au Vatican :
La statue de Fabio Viale traduit le réalisme anatomique et l’expressivité de Laocoon, en suivant les critères de l’art hellénistique. Elle est en marbre blanc, un matériau noble et difficile à travailler. Le personnage central, représenté nu, semble se débattre en vain, étroitement enlacé par les deux serpents. Le corps musclé, mordu à la hanche gauche, forme une longue diagonale. Les muscles sont tendus et accentués, ce qui concoure à l’impression de mouvement et de torsion provoquée par la présence du serpent. Le visage barbu, aux yeux levés vers le ciel, exprime toute sa souffrance. L’artiste a mis beaucoup de soin à figurer les détails anatomiques comme les veines.
Les tatouages multicolores sont présents sur le haut du corps, le torse et dans tout le dos jusqu’aux fesses (voir la photographie ci-dessous).
Fabio Viale a élaboré son encre avec l’aide de chimistes car il s’agit bien d’injection d’encres, comme pour la peau. Il utilise la porosité du marbre. Il choisit avec soin le dessin à tatouer. Les tatouages aux couleurs vives contrastent avec la couleur claire du support et contribuent à rendre encore plus vivante la statue.
Le tatouage du dos figure un grand tigre descendant sur fond de vagues bleues et de motifs floraux. Ce félin est un symbole protecteur pour les Japonais qui se le font tatouer dans l’espoir d’écarter les maladies, pour se donner du courage et pour combattre le mauvais sort. Il symbolise également la force, la longévité et le courage. Un tigre montant signifie l’agressivité et le crime et est une disposition privilégiés par les Yakuza. La statue du Laocoonte met en scène le mélange des genres (sculpture / tatouage), des cultures (occidentale/ japonaise), des époques (antiquité / époque actuelle) et des contextes (mythologie, sacré / profane, mafia).
Photographie du Laocoonte de Fabio Viale, détail du bras gauche :
ARTS RUPTURES CONTINUITES
Fabio Viale s’inscrit dans la continuité du Groupe de Laocoon en représentant Laocoon dans tous ses détails. Il choisit d’imiter le marbre blanc utilisé dans l’Antiquité. Le sculpteur italien n’a pas cherché à combler les manques (par exemple le bras droit, des parties du corps du serpent), et a même éliminé les deux enfants de Laocoon.
Les différences entre les deux oeuvres sont nombreuses : Fabio Viale a supprimé les deux statues des fils de Laocoon, même si l’on aperçoit les jambes d’un des garçons à gauche. La principale rupture vient de l’ajout des tatouages sur l’épiderme de la statue. Alors que le groupe de Laocoon était fait pour être admiré de face, Fabio Viale invite le spectateur à regarder le dos de la statue par l’ajout des tatouages.
On peut également considérer que Fabio Viale se place dans la continuité des sculpteurs qui ont reproduit le Groupe de Laocoon :
1/ L’original hellénistique en bronze (IIIème / Ier siècle avant J.-C.)
2/ La copie en marbre romaine (Ier siècle)
3/ Les copies à l’identique depuis la découverte en 1506 : le roi de France François Ier (XVIème siècle), souhaitant des collections prestigieuses, avait envoyé son peintre Primatice à Rome faire mouler Le Laocoon. Louis XIV en commande une version en marbre à Jean-Baptiste Tuby pour les jardins de Versailles. Une copie en bronze se trouve dans la salle des pas perdus de l’Assemblée nationale à Paris.
4/ La sculpture de Fabio Viale en 2021
Le choix de la villa maritime du Havre comme lieu d’exposition peut être mis en parallèle avec les villas romaines dont les jardins étaient ornés de statues en marbre inspirés d’originaux en bronze de l’époque hellénistique. A la différence que la statue de Fabio Viale était visible par le public.
Le Laocoon a fait l’objet de plusieurs représentations artistiques : en peinture, sur des fresques de Pompéi mais aussi sur un tableau du Greco (début du XVIIème siècle). Avec sa version, Fabio Viale interroge les notions d’héritage et d’innovation, de copie et d’original, de sacré et de profane.
D'une manière générale, lest oeuvres de l'Antiquité a toujours servi de modèle aux artistes, particulièrement depuis la Renaissance (XVème / XVIème siècles) : le sculpteur italien Michel-Ange (1475-1564) s'est inspiré des statues romaines, qui étaient souvent elles-mêmes des copies de statues grecques : ainsi, pour peindre ses personnages nus de la voute de la chapelle Sixtine, Michel-Ange prend pour modèles des statues antiques comme Le Torse du Belvédère. Au XXème siècle, Pablo Picasso (1881-1973) a souvent revisité les mythes et les figures de l’Antiquité, mais avec une touche moderne et cubiste. Salvador Dalí (1904-1989) a combiné les formes classiques à son style surréaliste, comme dans Vénus de Milo aux tiroirs (photo ci-dessous). Yves Klein (1928-1962) s’est inspiré de la statuaire antique avec sa série Vénus Bleue. Au XXIè siècle, l'artiste français Léo Caillard revisite les chefs d'oeuvre de l'Antiquité dans sa série Hipsters in stone (photo ci-dessous) : il habille des sculptures classiques de vêtements contemporains, plus précisément dans le style des "hipsters" (jeans slim, chemises à carreaux, lunettes à monture épaisse, etc.).
Salvador DALI, Vénus de Milo aux tiroirs, 1936, statue en plâtre. Dimensions: 98 x 32,5 x 34 cm. The Art Institute of Chicago, USA.