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23 Dec

Norman Rockwell, L'emménagement

Présentation

L'emménagement est un tableau de Norman Rockwell peint en 1967 : le peintre est alors à la fin de sa vie et développe une cataracte qui le gêne pour peindre. Son titre original est "New Kids in the Neighborhood" (De ​Nouveaux enfants dans le quartier). Il s'agit d'une huile sur toile pour servir ensuite d'illustration dans le magazine Look du 17 mai 1967, dont il accompagnait un article sur l'intégration des Afro-Américains dans les quartiers blancs. Dans son illustration de l'intégration des banlieues dans la communauté de Park Forest à Chicago, Rockwell exprime sa philosophie de tolérance. 

Biographie de Norman Rockwell

Norman Rockwell (1894-1978) était un peintre et illustrateur américain célèbre pour ses représentations idéalisées de la vie quotidienne aux États-Unis. Né à New York, il montra très jeune un talent pour le dessin et étudia à l’Art Students League.

Il est surtout connu pour ses couvertures du magazine The Saturday Evening Post, pour lesquelles il réalisa plus de 300 illustrations entre 1916 et 1963. Ses œuvres, souvent nostalgiques, mettent en scène des scènes de famille, des moments simples et des valeurs américaines.

Dans les années 1960, Rockwell aborda des sujets plus engagés, comme les droits civiques. Son style réaliste, empreint d’émotion et de détails, a marqué l’histoire de l’art populaire américain. Son oeuvre la plus célèbre est "The Problem We al Live With" réalisée en 1964.

Contexte historique

Ce tableau a été peint pendant la lutte pour les droits civiques aux États-Unis. Pendant longtemps, les lois dans le Sud des États-Unis étaient injustes : les personnes noires n'avaient pas les mêmes droits que les personnes blanches. Par exemple, elles devaient aller dans des écoles séparées, ne pouvaient pas s’asseoir aux mêmes endroits dans les bus, et n’avaient pas le droit de voter dans certains États.

Dans les années 1950 et 1960, des personnes comme Martin Luther King ou Rosa Parks ont dit "Stop !". Ils ont organisé des marches, des discours, et des actions pacifiques pour montrer que ces lois étaient injustes. Grâce à leur courage, des lois ont été changées, comme celle qui a mis fin à la ségrégation (séparation entre Blancs et Noirs) dans les lieux publics, notamment les écoles du Sud du pays. En 1964, toutes formes de ségrégations et de discriminations reposant sur la race, la couleur, la religion, le sexe ou l’origine nationale sont définitivement abolies.

Les années 1950 et 1960 sont pour les Etats-Unis une période de prospérité économique et un âge d'or de l'American Way of Life, lié à des valeurs de liberté individuelle, de prospérité matérielle, de consommation de masse et de réussite personnelle. C'est l'époque où l'automobile se démocratise et permet l'extension des banlieues pavillonnaires dans les villes.

Contexte artistique

Norman Rockwell est principalement rattaché au courant artistique du réalisme et plus spécifiquement à une forme de réalisme américain populaire. Son travail s'inscrit aussi dans le mouvement des illustrateurs narratifs du XXe siècle.

Rockwell a un style très détaillé et réaliste, représentant fidèlement des scènes de la vie quotidienne. Il s'appuie souvent sur des photographies. Ses œuvres racontent des histoires accessibles et émouvantes, souvent pleines d'humour ou de nostalgie. Il s’adresse au grand public, notamment à travers ses illustrations pour des magazines américains. Contrairement aux artistes modernes de son époque, Rockwell ne s’inscrit pas dans les mouvements d'avant-garde comme l’expressionnisme abstrait.

Norman Rockwell, Before the Shot, 1958, Norman Rockwell Museum : 

Une oeuvre de l'expressionnisme abstrait : Jackson Pollock, Number 17, 1949 : 

A partir des années 1930, Norman Rockwell a utilisé la photographie pour créer ses tableaux.
Avant de passer à la photographie, Rockwell composait déjà ses œuvres à travers des croquis détaillés. Il réfléchissait à la narration visuelle, la composition et les expressions des personnages. Ces croquis préliminaires servaient de guide pour organiser ensuite les séances photo.

Rockwell choisissait ses modèles parmi ses voisins, amis et même des membres de sa famille. Il sélectionnait des individus ordinaires capables de capturer l'authenticité et l'émotion requises pour la scène.

Il organisait les séances photo avec une précision extrême. Chaque détail était soigneusement arrangé, des costumes aux accessoires, en passant par l'éclairage. Les poses, les expressions des visages et les interactions entre les modèles étaient dirigées pour transmettre l’histoire qu’il voulait raconter.

Rockwell ne se limitait pas à une seule photographie. Il combinait plusieurs images pour créer une composition finale. Par exemple, il pouvait utiliser une photo pour une posture, une autre pour un décor, et une troisième pour les expressions. Une fois les photos prises, il les analysait minutieusement et parfois découpait ou superposait des parties d'images pour assembler un collage de référence.

La photographie lui permettait de travailler plus efficacement sur des œuvres complexes sans avoir besoin de faire poser ses modèles pendant de longues périodes.

Bien que son utilisation de la photographie ait permis une plus grande précision, certains critiques ont vu cette pratique comme un manque de spontanéité ou d'imagination purement artistique. 

Photographie ayant servi à la création du tableau (Musée Rockwell)

Description et analyse

Le tableau met en scène deux groupes d'enfants – un frère et une sœur afro-américains récemment installés dans un quartier à majorité blanche, faisant face à trois enfants blancs curieux. Cette scène se déroule dans un quartier résidentiel typique de la classe moyenne américaine.

La scène se déroule devant un camion de déménagement. Les enfants afro-américains se tiennent près de leurs affaires, dont une cage à oiseaux et une boîte à biscuits, symbolisant leur arrivée récente. En face, trois enfants blancs – deux garçons et une fille – observent les nouveaux venus avec un mélange de curiosité et de méfiance.

La scène se déroule dans un cadre neutre : les maisons en arrière-plan sont typiques d’un quartier de banlieue, illustrant un espace "anonyme" où l’interaction humaine prend le dessus sur le décor. Le quartier se trouve dans la banlieue de Chicago (Park Forest).  Il se compose de maisons individuelles avec des fenêtres à guillotine, typiques des résidences de banlieues. Les jardins donnant sur la rue sont ouverts et l'accès à l'entrée des maisons se fait par quelques marches.

une banlieue résidentielle de Chicago

La perspective est rendue à gauche par l'étagement des maisons et les terrain en pente. La profondeur rendue par les lignes du trottoir est bloquée par le camion de déménagement.

Les expressions des enfants sont au cœur de la narration visuelle. Les enfants noirs semblent confiants, bien que légèrement sur leurs gardes, tandis que les enfants blancs oscillent entre curiosité et hésitation. Tous les enfants sont représentés de profil.

La toile montre des objets et des détails symboliques : une cage à oiseaux – souvent interprétée comme un symbole d'absence de liberté – peut refléter la tension entre l'espoir d'intégration et les réalités des barrières sociales.

Norman Rockwell utilise des tons doux et naturels qui donnent un aspect réaliste à la scène tout en atténuant la dureté des tensions sociales sous-jacentes. Il a peint des objets jaunes à plusieurs endroits pour faire vagabonder le regard du spectateur : les meubles en bas à gauche, la voiture de sport (qui a appartenu à la fille de son assistant Louis Lamone) et le pull du garçon le plus grand.

Avec cette oeuvre, Norman Rockwell porte un regard sur l'innocence : le choix de mettre en scène des enfants est révélateur. En capturant une interaction entre jeunes, Rockwell suggère que les préjugés raciaux ne sont pas innés mais appris, laissant entrevoir un espoir pour l'avenir. Il montre une scène où les adultes sont discrets : la tête du déménageur et celle d'un voisin à sa fenêtre.

Bien que la scène semble paisible, elle est empreinte d’une certaine tension. Le silence suggéré entre les enfants reflète un moment suspendu, une confrontation où les non-dits dominent.

Rockwell montre ce que les enfants ont commun : le gant de base-ball des deux garçons suggèrent qu'ils vont jouer ensemble. Les animaux de compagnie (le chat pour les Afro-Américains et le chien pour les Blancs) est également un élément de rapprochement. 

L’œuvre se termine sur une note ambivalente. La proximité entre les enfants et leur langage corporel (pas d’animosité visible) laissent espérer un dialogue futur. Toutefois, les barrières invisibles – sociales et historiques – restent présentes. Les lignes semblent séparer les enfants, même si la rampe du camion de déménagement figure comme un trait d'union entre les deux groupes. L'espace entre les deux groupes montrent également une certaine retenue.

Arts, Etats, pouvoir

Norman Rockwell s'est engagé pour lutter contre les discriminations racistes. Il a mis sa popularité au service de cette cause. 

Le peintre utilise son œuvre pour critiquer le racisme institutionnalisé et les résistances à la déségrégation scolaire imposée par l’État fédéral aux États-Unis. En adoptant une approche réaliste et émotionnelle, il sensibilise le public à la tolérance pour bien vivre ensemble.

Publiée en 1964 dans Look Magazine, une publication populaire, l’œuvre montre comment l’art peut influencer l’opinion publique en exposant des réalités sociales difficiles. En créant une image accessible mais puissante, Rockwell s’adresse à un large public, utilisant les médias comme vecteur pour provoquer une prise de conscience et un changement social.

Cette peinture illustre un moment délicat dans l'histoire américaine, celui de la déségrégation des quartiers résidentiels, où les barrières raciales commencent à s'effriter dans la vie quotidienne. Commandée pour Look Magazine, l'œuvre appartient à la série de peintures de Rockwell qui abordent des problématiques sociales, notamment les tensions raciales.

Sitographie

 

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